Aller à l'entête Aller au contenu
Nos publications Nos Articles
Pour un nouveau plan Marshall au moyen d’un financement monétaire/fonds propres

Pour un nouveau plan Marshall au moyen d’un financement monétaire/fonds propres

Photo de Zac Edmonds sur Unsplash

EN VUE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE DANS L’UNION EUROPEENNE ET DE LA CONSTRUCTION D’INFRASTRUCTURES NÉCESSAIRES AU DEVELOPPEMENT DE L’AFRIQUE

RAPPORT – Octobre 2020 – Jean M. Nogueroles*

(*) Juriste international et économiste

Introduction

Comme chacun le sait, le plan Marshall fut une initiative américaine adoptée en 1948, qui a permis, en accordant des facilités financières, d’investir de manière substantielle dans le redressement économique des États européens occidentaux après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Il est généralement admis que le plan Marshall a été un succès économique et politique, qui a fait de cette initiative du XXe siècle une référence historique toujours présente dans notre mémoire.

C’est pourquoi, l’expression de “nouveau plan Marshall” est parfois utilisée dans le contexte de propositions de plans d’investissement massifs, notamment en vue de réaliser la transition écologique et énergétique de l’Union Européenne (« l’UE »)mais aussi en vue de la construction d’infrastructures nécessaires au développement de l’Afrique.

Le présent rapport a pour objectif de formaliser des pistes de réflexion en vue d’apporter des propositions de solutions financières pour un nouveau Plan Marshall qui pourrait, le cas échéant, être mis en œuvre dans le cadre de l’UE.

Pour ce faire, il est considéré une approche alternative à l’orthodoxie monétaire classique qui est officiellement affichée comme un point de référence par les diverses autorités politiques européennes.

Il est, à titre liminaire, tiré les enseignements de la mise en œuvre par la Banque Centrale Européenne (« BCE ») du “programme dit d’assouplissement quantitatif” depuis le début de l’année 2015.

Il est également fait référence aux travaux les plus récents du professeur Jordi Galí (2019 – Barcelona School of Economics), qui mettent en exergue les avantages économiques résultant d’un possible financement monétaire de dépenses d’investissements (comparé à un financement par l’impôt et/ou par la dette).

Il est enfin proposé une solution financière alternative s’en inspirant (mais plus compatible avec les règles de politique publique appliquées par les Etats), comportant un financement à la fois monétaire et en capitaux propres, dont il est développé les conditions et les contours.

À cet effet, il est tout particulièrement suggéré que la BCE et la Banque Européenne d’Investissement (la « BEI ») soient instrumentalisées à des fins de politique économique, en vue d’atteindre des objectifs macroéconomiques visant à la réalisation d’investissements massifs.

Il est, pour ce faire, proposé de changer de paradigme de politique économique et avant toute chose d’élargir intellectuellement notre acception du champ des possibles afin de ne plus restreindre notre pensée à un cadre devenu désormais inadapté.

1. Leçons à tirer du changement de politique monétaire de la BCE : l’assouplissement quantitatif a ouvert la voie.

Keynes (1930) faisait déjà valoir qu’en achetant des obligations d’État et en augmentant leur bilan, les banques centrales étaient en mesure de relancer l’économie. Pour Keynes, une politique d’assouplissement quantitatif pouvait s’imposer dans le cadre d’une politique monétaire expansive si les taux d’intervention de la banque centrale s’étaient rapprochés de zéro :

La Banque d’Angleterre et le Federal Reserve Board (…) devraient poursuivre la politique de taux d’intérêt bancaire et les opérations d’open market à outrance (…) c’est-à-dire qu’ils devraient se combiner pour maintenir un niveau très bas du taux d’intérêt à court terme, et acheter des titres à long terme (…) jusqu’à ce que le marché à court terme soit saturé . ” (Keynes (1930), p.386 – traduction libre de l’anglais).

1.1 La mise en œuvre d’un programme d’assouplissement quantitatif par la BCE :

Mario Draghi (2015a, 2015b, 2015c et 2016) a annoncé à la fin de l’année 2014, en sa qualité de président de la BCE (2013-2019), que la banque centrale initiait un programme dit d’assouplissement quantitatif » (en anglais « quantitative easing » ou « QE »). L’objectif politique de ce programme était initialement de :

– garantir la solvabilité financière des banques commerciales dans l’UE afin d’éviter un scénario d’insolvabilité majeure du secteur bancaire tel que celui qui a déclenché la Grande Récession de 2009 aux États-Unis (avec, notamment, la faillite de Lehman Brothers), et

– assurer un taux d’intérêt plus bas pour le refinancement de la dette émise par les États membres de l’UE et les entreprises sur les marchés financiers.

La BCE a pu mettre en œuvre ce programme d’assouplissement quantitatif dès la fin de l’année 2014 et ce, jusqu’à la fin de 2018. Ce programme a été ensuite relancé à la fin de 2019 par Madame LAGARDE (nouvelle présidente de la BCE).

La BCE a, ce faisant, injecté d’importantes liquidités dans le cadre du refinancement des banques commerciales en rachetant leurs actifs financiers : rachat d’obligations initialement émises par les entités du secteur public et les sociétés du secteur privé pour un montant total de 2.600 milliards d’euros entre la fin de 2014 et la fin de 2019. L’Eurogroupe a en outre décidé de mettre en œuvre un programme d’achat d’urgence dit “pandémique” et pour ce faire d’utiliser le mécanisme européen de stabilité (MES) dans le cadre d’un “Rescue Deal” (suite à la crise de la Covid-19) : ceci doit se traduire par l’injection de liquidités supplémentaires pour un montant total de 750 milliards d’euros (Accords de l’Eurogroupe sur la crise du coronavirus d’avril et juin 2020).

En tout état de cause, la mise en œuvre du programme d’assouplissement quantitatif s’est traduite par un processus de création monétaire.

Comme l’analyse l’économiste Claeys (2015), il y a création monétaire, dans le cadre de la mise en œuvre d’un programme d’assouplissement quantitatif, lorsque la banque centrale achète des actifs financiers (principalement des obligations et des bons du trésor) détenus par les banques commerciales, qui se refinancent ainsi en les cédant auprès de la banque centrale.

En contrepartie, les banques commerciales obtiennent un dépôt en euros à la BCE pour la contre-valeur de la vente de leurs actifs financiers à la BCE.

Ces nouveaux dépôts de monnaie auprès de la BCE ont pu être utilisés par les banques commerciales aux fins d’améliorer leurs réserves bilancielles telles que retenues pour le calcul de leurs ratios de fonds propres, de liquidité et de solvabilité.

L’amélioration des ratios des banques commerciales était censée leur permettre d’accorder davantage de prêts aux entreprises et aux ménages.

Cependant, comme le souligne le professeur De Grauwe (2019 – London School of Economics), la monnaie créée par la BCE dans le cadre de son programme d’assouplissement quantitatif n’a que très peu profité à l’économie réelle.

Cette critique a souligné les limites du programme d’assouplissement quantitatif tel qu’il a été initialement mis en œuvre (dans la mesure où cette politique n’a pas établi de distinction en fonction du remploi final par les banques commerciales des liquidités injectées par la banque centrale).

1.2 Possible poursuite d’un assouplissement quantitatif dédié à la transition écologique (ou « Green QE ») :

La nouvelle présidente de la BCE, Christine Lagarde (2020), a publiquement défendu le rôle de la banque centrale dans la lutte contre le changement climatique.

Les commentateurs financiers ont qualifié ce concept de « Green QE . La définition de ce concept est, pour autant, controversée. Les plus fervents partisans d’un “Green QE” considèrent que la BCE ne devrait plus racheter que des actifs financiers correspondant au financement d’investissements en rapport avec la transition écologique.

Pour mémoire, il convient de noter qu’à la fin de 2018, la BCE détenait environ 18 milliards d’euros « d’obligations vertes » (ou « green bonds » destinés à financer des projets liés à la transition écologique), ce qui était assez peu par rapport au montant total de 2 600 milliards d’euros de titres achetés par la BCE depuis 2015.

Madame Christine Lagarde (2019), souhaitant aller plus loin, lors de son audition par le Parlement européen en septembre 2019, a défendu que la BCE était en droit d’acheter des obligations vertes émises par la Banque européenne d’investissement (BEI) :

“La BEI est déjà un émetteur important d’obligations vertes. Et je crois comprendre que la BCE, sur le marché secondaire, achète également certains de ces produits”.

Avant Christine Lagarde, Benoit Cœuré, (2019), qui était membre du Comité exécutif de la BCE jusqu’en janvier 2020, avait défendu cette idée, notamment lors d’un échange avec des députés français, à l’Assemblée nationale, le 15 mai 2019 :

“Si la priorité politique est le changement climatique, les gouvernements peuvent décider de demander à la BEI d’en faire plus pour le climat. Et [la BEI] pourrait le faire parce que les taux d’intérêt sont à zéro et parce que la BCE achète des obligations de la BEI. Ainsi, de manière indirecte, à travers la politique monétaire, nous avons créé un environnement très favorable à l’investissement à long terme”.

En d’autres termes, si la BCE n’est pas autorisée à acheter directement des obligations émises par la BEI, il est possible que la BCE rachète des obligations (vertes) émises par la BEI sur le marché secondaire (par exemple, auprès de banques commerciales ou des fonds de pension/investissements).

Or en rachetant, le cas échéant, des obligations vertes émises par la BEI, la BCE pourra faire monter les prix de ces titres (en raison d’une demande accrue) : les banques commerciales et/ou les fonds de pension pourront ainsi vendre leurs obligations vertes émises la BEI à un prix supérieur à celui qu’ils ont souscrit (lors de leur émission par la BEI), ce qui les rendra plus attractives lors de leur émission.

En outre, les taux d’intérêt des obligations vertes émises par la BEI seront réduits (puisque le prix de revente des obligations de la BEI sera susceptible d’augmenter), ce qui, en fin de compte, diminuera le coût de financement de la BEI.

Pour illustration, on peut d’ores et déjà constater que depuis la mise en place du programme d’assouplissement quantitatif en 2015 les taux d’intérêt des obligations de la BEI sont passés de 3 % à moins de 1 %. Concrètement, cela a donc réduit le coût du financement des projets financés par la BEI.

Benoît Cœuré (2019) avait à cet égard souligné que la politique de taux bas de la BCE “est une politique permettant l’investissement. C’est une politique qui permet à tous les Etats membres de la zone euro, à leurs institutions publiques et à leurs banques de développement, la Banque européenne d’investissement (BEI), d’emprunter à des taux très bas et à très long terme pour la transition vers une économie sobre en carbone et pour le changement climatique. C’est grâce

la BCE. Nous fournissons des conditions financières pour que les gouvernements puissent l’utiliser et faire ce qui convient à leurs priorités politiques”.

Pour Benoît Cœuré (2019), la politique d’assouplissement quantitatif est une opportunité pour mettre en œuvre des politiques d’investissement public plus ambitieuses, notamment en s’appuyant sur “des banques publiques telles que la BEI”, ou la création d’une “potentielle Banque européenne du climat”.

Le débat sur l’assouplissement quantitatif dit “vert” reste ouvert : il s’agit de déterminer si la BCE doit limiter à l’avenir ses achats d’actifs financiers aux seules “obligations vertes”.

Il semble que les responsables de la politique monétaire aient compris qu’ils doivent veiller à ce que les politiques de la BCE soient cohérentes avec les priorités de l’UE telles que la lutte contre le changement climatique.

Cependant, le volume des obligations vertes rachetées dans le cadre de la politique d’assouplissement quantitatif de la politique monétaire reste jusqu’à présent assez marginal comme on peut l’observer ci-dessous.

Volume des obligations vertes éligibles au CSPP par rapport au total des obligations éligibles au CSPP dans le secteur industriel : (pourcentages)

Sources : Bloomberg et calculs de la BCE.

Notes : Sur la base des encours en termes nominaux. La dernière observation est pour le 27 septembre 2018. Il convient de noter que la BCE a également acheté, entre autres, des obligations vertes émises par des entités publiques souveraines et des institutions supranationales (telles que la BEI) depuis le début du programme d’achat du secteur public (“PSPP”) dans le cadre du programme d’assouplissement quantitatif. En fait, le volume des obligations vertes éligibles émises par ces entités du secteur public reste encore plus faible par rapport à l’univers éligible au PSPP (moins de 1%). 1.3 La décision de mettre en œuvre un programme d’achat d’urgence dans le cadre de la crise sanitaire pandémique de la Covid 19 : La crise sanitaire du Covid-19 a constitué un défi sans précédent pour les décideurs politiques du gouvernement en général et de l’UE en particulier. En réponse à cette crise, le Conseil des gouvernements de l’UE a décidé de mettre en œuvre un vaste plan de mesures substantielles pour soutenir l’activité économique et préparer la reprise. Suite à cette annonce, la BCE a décidé de lancer un programme d’achat d’urgence en cas de pandémie (PEPP) de 750 milliards d’euros, afin d’élargir la gamme des actifs éligibles dans le cadre du programme d’achat du secteur des entreprises (CSPP).

Suite à sa réunion de juin 2020, le Conseil des gouverneurs de la BCE a annoncé une extension du Programme d’achat d’urgence du fait de la pandémie (PEPP) de 600 milliards d’euros, pour un total de 1 350 milliards d’euros, les achats se poursuivant au moins jusqu’à la fin de 2021.

Cela illustre que les responsables de la BCE ont décidé une fois de plus de mettre en œuvre des décisions qui sont cohérentes avec les objectifs politiques définis par l’UE, visant notamment à stabiliser l’économie.

1.4 Controverse juridique et défi politique :

Il convient de noter que la Cour constitutionnelle fédérale allemande de Karlsruhe a récemment rendu une décision très remarquée (5 mai 2020 – références de l’affaire : 2 BvR 859/15 – 2 BvR 1651/15 – 2 BvR 2006/15 – 2 BvR 980/16) dans laquelle elle a déclaré que le gouvernement allemand n’avait pas pris les mesures nécessaires pour contester la BCE dans sa décision d’acheter des obligations d’État :

“La BCE n’a pas procédé à la mise en balance nécessaire de l’objectif de politique monétaire et des effets de politique économique découlant du programme. Par conséquent, les décisions en question … dépassent le mandat de politique monétaire de la BCE”.

Toutefois, cette décision de la Cour constitutionnelle allemande ne lie pas la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), qui avait, pour sa part, préalablement rendu une décision confirmant la légalité et la conformité aux traités applicables de la politique d’assouplissement quantitatif mise en œuvre par la BCE (CJUE 1er décembre 2018 – affaire C 493/17).

Dans tous les cas, cette décision constitue un défi politique : la plus haute juridiction de la République Fédérale d’Allemagne (économie la plus forte de la zone euro) contredit le bienfondé de la politique mise en œuvre par la BCE, en opposition avec la position affirmée par la CJUE.

De toute évidence, lorsque deux juridictions suprêmes de ce niveau interprètent un traité de manière opposée sur un point aussi sensible, c’est qu’il est grand temps de procéder à la révision du Traité de l’UE (et du Traité sur le fonctionnement de l’UE) pour le clarifier.

Cette situation devrait raisonnablement aboutir à un moment ou à un autre à une négociation diplomatique entre les États membres de l’UE aux fins de résoudre cette difficulté.

L’enjeu de cette future éventuelle négociation sera celui d’une possible révision du Traité de l’UE et probablement du Traité relatif au fonctionnement de l’UE, afin d’adapter leurs termes et conditions à la pratique de la BCE (qui considère a priori désormais qu’elle peut mettre officiellement en œuvre des politiques considérées comme compatibles avec les objectifs politiques de l’UE).

2. Considération théorique : avantages économiques résultant d’un éventuel financement monétaire de dépenses d’investissements (comparé à un financement classique par l’impôt et/ou par la dette)

2.1 Fondement théorique et conceptuel d’un financement monétaire :

Au-delà de la théorie générale de la monnaie, de l’intérêt et de l’emploi de John M. Keynes (1930), Milton Friedman (1969) a fourni une représentation métaphorique de ce qu’il a appelé “helicopter money” : en se référant à des situations où les dépenses et investissements publics seraient financés par la création monétaire. Ce terme a depuis souvent été utilisé pour désigner le financement de dépenses/investissements publics par la création monétaire.

Le professeur Buiter (2014) a récemment analysé l’impact d’une stimulation fiscale ou d’une dépense publique financée par la création monétaire permettant d’opérer un transfert vers les ménages, en montrant l’importance de la monnaie et son effet expansionniste sur la consommation.

Le professeur Galí (2019) a prolongé d’une certaine manière cette analyse en montrant les effets différentiels positifs d’une stimulation fiscale et d’investissements financés par la création monétaire par rapport à une stimulation fiscale ou des investissements financés par la dette ou l’impôt, selon le cas.

Jordi Galí (2019) a, en particulier, démontré que des multiplicateurs économiques plus importants sont associés à ces dépenses et investissements lorsqu’ils sont financés par la création monétaire.

2.2 Avantages économiques résultant du financement de dépenses et investissements publics par la création monétaire – à la lumière des récents travaux de Jordi Galí :

Le professeur Galí (2019) a analysé dans le détail les effets économiques, en termes de production, d’une relance budgétaire ou de dépenses publiques financées par la création monétaire, en les comparant à ceux résultant d’une relance ou de dépenses publiques financées par la dette (dans le prolongement de Galí et al. – 2007).

Le professeur Galí (2019) a ainsi pu démontrer qu’un stimulus fiscal ou des dépenses publiques financés par la création monétaire ont des effets multiplicateurs beaucoup plus importants que s’ils étaient financés par la dette ou par l’impôt. Il a également été démontré que ce différentiel mesuré en termes d’effet multiplicateur (entre les dépenses financées par la création monétaire et celles financées par la dette) demeure dans tous les cas. Pour autant, il peut être sensiblement moins important lorsque le taux de refinancement de la dette publique tend vers zéro.

Source : Galí (2019) : Multiplicateurs fiscaux

Note de Galí (2019) : “les courbes indiquent la valeur du multiplicateur fiscal dynamique pour une réduction d’impôt (chiffre du haut) et une augmentation des dépenses et investissements publics (chiffre du bas), en fonction de la persistance du choc δ. Pour chaque cas, la ligne rouge correspond à un régime de financement monétaire, tandis que la ligne bleue correspond à un régime de financement de la dette”.

Ces travaux du professeur Galí confortent les conclusions qui avaient été développées par le professeur Woodford (2011) : l’importance d’un effet multiplicateur (de dépenses budgétaires ou d’investissements publics) dépend également en grande partie de la politique monétaire mise en œuvre par ailleurs pour accompagner l’augmentation des dépenses publiques.

Pour mémoire, selon une approche plus classique, la banque centrale doit se concentrer sur la stabilisation de l’inflation ce qui va la conduire à augmenter les taux d’intérêt afin de compenser la demande accrue induite par l’augmentation des dépenses publiques en cas de relance.

Au À l’inverse, dans le cadre d’une approche plus keynésienne favorable au financement monétaire, la banque centrale suspend (au moins temporairement) sa mono-orientation relative

la stabilisation de l’inflation, en accommodant monétairement l’expansion budgétaire et les dépenses publiques, de façon à renforcer ses effets sur la production (effet multiplicateur), notamment, par une réduction des taux d’intérêt réels.

Le professeur Galí (2019) en conclut que : “une augmentation des dépenses publiques financée par la création monétaire a un plus grand effet multiplicateur sur la production qu’une réduction d’impôts financée par la création monétaire.

(…) il est clair qu’un recours récurrent à de telles politiques serait probablement une source d’inflation et entraînerait des changements de comportement individuel susceptibles de nuire à leur efficacité (par exemple, indexation ou plus grande flexibilité des prix).

En dépit de ces considérations, une relance budgétaire financée par la création monétaire peut toujours être considérée comme un outil puissant auquel les décideurs politiques peuvent recourir en cas d’urgence, lorsque toutes les autres options ont échoué ou sont épuisées”.

En substance, le professeur Galí (2019) a démontré que des dépenses et investissements publics financés par la création monétaire présentent le double avantage sur le plan économique (par rapport à des dépenses et investissements financés par la dette ou l’impôt) que :

– le montant correspondant à la dépense ou l’investissement public ne doit pas être finalement supporté par le contribuable (puisqu’il n’est pas financé par la dette ou l’impôt), ce qui ne réduit pas la consommation de manière subséquente ; et

– la dépense ou l’investissement public ainsi financés aura un effet multiplicateur sur la production substantiellement plus important que s’ils étaient financés par la dette,

Le choix du financement monétaire semblerait donc plus efficace en termes de politique de relance économique dans la mesure où la croissance et l’emploi seraient des objectifs prioritaires, sous réserve, bien entendu, de ne pas en abuser dans la durée si l’on veut éviter le retour à terme d’une inflation structurelle.

3. Proposition de rénovation et d’extension des missions de la BEI et de la BCE, dans le cadre d’une refonte des Traités, aux fins de la mise en œuvre d’un financement mixte – monétaire/capitaux propres – pour un plan d’investissements massifs :

Le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz (2015 – ancien économiste en chef de la Banque Mondiale et professeur à l’Université de Columbia) avait suggéré en 2015 (interview parue dans LES ECHOS du 14 avril 2015) que : « l’on pourrait mieux utiliser le bilan de la BCE, en le combinant avec des interventions de la Banque européenne d’investissement (BEI). L’idée serait de faire acheter par la banque centrale des quantités massives d’obligations émises par la BEI, afin que cette dernière puisse investir dans de nombreux projets utiles à l’économie européenne. »

Force est de constater que la proposition du professeur Stiglitz (2015) n’a pas encore été véritablement mise en œuvre.

3.1 Fondement conceptuel d’une approche alternative qui emporterait la mise en œuvre d’un financement mixte – monétaire/capitaux propres :

Pour mémoire, le financement de la dépense budgétaire par la création monétaire (étudié à titre de modèle théorique, notamment, par le professeur Galí) est, en principe, interdit par la loi dans de nombreux pays. La raison historique de cette interdiction est le risque avéré de générer une hyperinflation structurelle à chaque fois que la création monétaire est abusivement utilisée par les autorités gouvernementales pour financer les dépenses publiques courantes.

Par analogie avec le modèle théorique de financement exclusivement monétaire, il est ici envisagé, à titre alternatif, une proposition en vertu de laquelle les dépenses d’un plan massif d’investissements publics seraient financées de manière mixte, à la fois :

– par une création monétaire en amont : la BCE rachetant des obligations (« vertes » ou autres) émises par la BEI ; et

– par un apport de capitaux propres en aval : la BEI apportant des capitaux propres aux sociétés portant les projets susceptibles d’être financés.

Ce financement mixte monétaire/capitaux propres pourrait, au demeurant, produire un effet très comparable à celui d’un financement strictement monétaire en termes d’effet multiplicateur dans la mesure où les investissements réalisés ne seraient pas in fine supportés par le contribuable (dette publique ou impôt).

3.2 La création monétaire résultant de la mise en œuvre du programme d’assouplissement quantitatif a créé une « fenêtre d’opportunité » selon le professeur De Grauwe :

L’hypothèse sous-jacente est la suivante : Il n’y a pas de limite juridique ou technique directe quant au montant total des actifs financiers (tels que les obligations) que la BCE peut acheter.

Pour autant, il est bien clair que si la BCE devait acheter toutes les obligations émises sur le marché, la valeur de la monnaie émise (correspondant à l’achat d’obligations et autres titres de créances par la BCE) serait finalement fortement dépréciée.

En outre, la BCE doit se conformer à l’objectif fixé par le traité de l’UE de veiller à ce que l’inflation annuelle ne dépasse pas 2 %. Cet objectif impose en pratique une contrainte indéterminée quant au montant total des titres que la BCE peut acheter (afin d’éviter une inflation excédant deux pour cent par an).

Or depuis le début du programme d’assouplissement quantitatif, la BCE a massivement racheté aux banques commerciales des obligations et autres titres du secteur public (programme d’achat d’actifs du secteur public) mais aussi, et dans une moindre proportion, des obligations émises par les entreprises (programme d’achat d’actifs du secteur des entreprises).

Comme évoqué plus haut, une petite partie de ces obligations et autre titres rachetés (émis par le secteur public ou par le secteur des entreprises) a été émise pour financer des investissements en rapport avec la transition écologique.

Comme indicateur quantitatif de cette émission monétaire, on peut relever que :

– le montant total du bilan de la BCE (incluant le montant total des titres rachetés aux banques) était d’environ 4.670 milliards d’euros, soit environ 41% du PIB de la zone euro à la fin de 2019 ; alors que

– ce même montant total du bilan de la BCE (incluant le montant total des titres rachetés aux banques) représentait environ 11% du PIB de la zone euro en 2014.

Le rachat de titres par la BCE pour environ 2 600 milliards d’euros (obligations et bons du trésor) auprès des banques commerciales, dans le cadre du programme d’assouplissement quantitatif, s’est donc traduit par une augmentation du bilan de la BCE représentant une pure création monétaire équivalente à environ 30 points du PIB de la zone Euros, au cours de la période allant de la fin de 2014 à la fin de 2019.

Pour autant, il convient d’observer (car cela pouvait être initialement une inquiétude) que la mise en œuvre du programme d’assouplissement quantitatif, n’a en pratique généré aucune inflation au cours de cette même période (le taux d’inflation dans la zone Euro étant toujours resté inférieur à 2% par an, compte tenu des pressions déflationnistes au cours de la période).

BCE – source – 2019 Le professeur De Grauwe (2019 – London School of Economics) considère que cette situation doit être regardée comme une “fenêtre d’opportunité”. La BCE pourrait aisément, le cas échéant et progressivement, remplacer les anciens titres rachetés aux banques (entre 2014 et 2019), lorsqu’ils viendront à échéance, par de nouveaux titres dits « verts » qui seront émis pour financer des projets d’investissement liés à la transition écologique.

De Grauwe (2019) en conclut : “c’est le moment où la BCE pourrait intervenir, en achetant des obligations émises par la BEI à un rythme dicté par l’expiration des anciens titres inscrits à l’actif de son bilan. De cette façon, la BCE créerait de la “monnaie verte” sans alimenter l’inflation. Et comme la BCE rachèterait les obligations émises par la BEI, cela créerait l’opportunité pour la BEI d’augmenter ses emprunts sur les marchés des capitaux sans mettre en danger son statut AAA”.

Ce remplacement progressif des anciens titres rachetés aux banques (de manière indifférenciée) par de nouveaux titres « verts » pourrait ainsi permettre à la BCE de réorienter ses flux monétaires (générés au cours des 5 dernières années et correspondant à 30 points du PIB de la zone Euro) vers des projets d’investissement liés à la transition écologique ou encore, pourquoi pas, au développement de l’Afrique.

La proposition d’un financement mixte que nous formulons est donc fondée sur l’hypothèse que les autorités politiques européennes viendront peut-être un jour à se mettre d’accord, dans le cadre d’une nécessaire refonte des Traités, sur la rénovation et l’extension du champ d’application des missions qui seront confiées à la fois à la BCE et à la BEI. 

3.3 Propositions de contenu quant aux nouvelles missions qui pourraient être confiées à la BCE et à la BEI, dans le cadre de la refonte des Traités : 

L’objectif de la rénovation et de l’extension des missions confiées à la BCE et à la BEI serait de pouvoir financer de grands plans d’investissement en relation avec la transition écologique et la construction d’infrastructures en Afrique, sans les faire supporter par le contribuable

En premier lieu, la mission de la BCE pourrait, plus généralement, intégrer la prise en compte d’un objectif de croissance économique et d’emploi mais aussi, le cas échéant, tout objectif de politique publique que l’Union Européenne pourrait considérer comme une « priorité politique » (pour reprendre l’expression de Madame Lagarde – 2019) ; dont la transition écologique et pourquoi pas, le développement de l’Afrique.

La mission de la BEI pourrait être, au demeurant, élargie de telle manière à ce qu’elle devienne le véhicule d’investissement européen dédié à la mise en œuvre d’un nouveau Plan Marshall, en vue de financer des investissements massifs liés à la transition écologique et à la construction et au fonctionnement d’infrastructures en Afrique. Pour ce faire, on pourrait envisager que :

– la BCE soit autorisée à devenir actionnaire de la BEI (aujourd’hui, seuls les Etats membres en sont actionnaires en application des Traités) ; et

– le capital souscrit par la BCE (par voie d’augmentation du capital de la BEI) permette à la BEI d’augmenter suffisamment ses fonds propres, dans une proportion lui permettant de procéder à l’émission à terme d’obligations (destinées à financer ses investissements) pour un montant total équivalent aux 2.6000 milliards d’euros de titre déjà acquis (liquidités créées par la BCE entre la fin de 2014 et la fin de 2019).

Les investissements projetés pourraient être financés par la BEI sur une durée suffisante (d’environ 7 à 10 ans) afin de permettre à la BCE de progressivement refinancer la BEI (en rachetant les obligations « vertes » ou « développement » que la BEI pourrait émettre) au fur et à mesure de l’arrivée à échéance du terme des titres que la BCE détient déjà (acquis dans le cadre du programme d’accroissement quantitatif).

La BEI pourrait ainsi obtenir les ressources financières nécessaires aux fins de soutenir les grands plans d’investissement qui seront définis comme des « priorités politiques » par les Etats de l’UE., dans le cadre de son éventuel mandat rénové.

Pour ce faire, la BEI pourrait réinvestir principalement en fonds propres dans le capital social des sociétés portant les projets financés (en qualité d’actionnaire minoritaire) et, le cas échéant, accorder des facilités financières complémentaires.

L’intérêt de cette solution réalisant des investissements principalement financés en fonds propres serait d’obtenir, à court et à moyen terme, un effet multiplicateur comparable sur l’économie à celui produit par un financement strictement monétaire.

En effet, dans la mesure où les fonds propres ne doivent pas, par définition, être remboursés par les sociétés projets qui en disposent, on peut raisonnablement supposer que l’effet économique produit sur l’économie réelle serait comparable, en termes d’effet multiplicateur, à celui d’un financement monétaire. Le paradigme sous-jacent de l’analyse d’un financement monétaire étant que les dépenses et investissements publics réalisés ne soient pas finalement supportés par le contribuable.

Or, le modèle de financement mixte monétaire/fonds propres qui est ici proposé, à titre de solution alternative, permet également de s’assurer que les dépenses et investissements publics réalisés (par l’intermédiaire de la BEI) ne soient pas (non plus) supportés par le contribuable :

– La BCE achetant progressivement des obligations émises par la BEI et maintenant au cours des 10 prochaines années, le montant total de son bilan à environ 41% du PIB de la zone Euro (les rachats par la BCE d’obligations émises par la BEI venant au fur et à mesure remplacer les titres déjà détenus la BCE dont le terme est venu à échéance).

À cet égard, on peut imaginer que ces investissements soient réalisés par la BEI :

– en association avec des investisseurs du secteur des entreprises (petites, moyennes ou grandes entreprises – selon le type d’investissement) ou même avec des investisseurs du secteur public lorsque cela est mieux indiqué, et

– conformément à des accords de partenariat public-privé, en vertu desquels la BEI agira en tant qu’actionnaire minoritaire dans le capital des sociétés projets portant les investissements financés.

À ce titre et en tant que futur actionnaire de sociétés projets, la BEI :

– pourra recevoir, le cas échéant, sa quote-part des bénéfices réalisés au moyen de distributions de dividendes, et – après une période d’investissement (d’une durée suffisante, éventuellement de 7 à 10 ans), réaliser une possible plus-value au titre de la cession (à tout tiers investisseur privé ou public) des actions détenues par la BEI dans le capital de chacune des sociétés projets portant les investissements. Ces éventuels revenus d’investisseur (dividendes et plus-value de sortie) permettraient, le cas échéant, à la BEI d’obtenir les liquidités nécessaires au remboursement du capital et des intérêts échus du fait du remboursement de ses emprunts obligataires (obligations « vertes ou « développement » émises, selon le cas). Pour autant, dans les situations (qui doivent être aussi envisagées, au cas par cas, comme relevant d’une prise de risques par la BEI) où les projets d’investissements ne s’avèrent pas économiquement rentables : la BEI ne percevra pas de revenus (ni dividende ni plus-value de sortie a priori) et pourrait même éventuellement subir une perte sur la revente éventuelle (ou l’absence de revente) de ses actions dans le capital de la société projet portant l’investissement. Cette absence potentielle de revenus et la réalisation d’une éventuelle moins-value de sortie rendrait, au cas par cas, la BEI incapable d’obtenir les liquidités nécessaires au remboursement du capital et des intérêts dus au titre du projet financé. Toutefois, on pourrait imaginer que la situation financière entre la BCE (détentrice des obligations émises par la BEI) et la BEI, soit examinée globalement de manière périodique (sur une base mensuelle, trimestrielle ou semestrielle). Si au cours d’une période significative considérée, les revenus et plus-values réalisées par la BEI ne couvrent pas les éventuelles pertes subies, on pourrait imaginer que la BCE (devenue actionnaire de la BEI) procède à une recapitalisation de la BEI au moyen d’une opération dite de « coup d’accordéon » (réduction de capital pour absorber les pertes, suivie d’une opération d’augmentation de capital souscrite par la BCE). Dans ce cadre, le résultat économique produit devrait bien être celui escompté : le contribuable ne paierait jamais pour les éventuelles pertes qui pourraient être réalisées par la BEI. La pure création monétaire résultant de la recapitalisation éventuelle de la BEI par la BCE se limiterait pour autant aux seules éventuelles pertes enregistrées par la BEI qui ne seraient pas finalement couvertes par des produits (contrairement à un pur financement monétaire qui couvrirait la totalité du montant des investissements). 3.4 Un nouveau pacte européen, engageant une refonte des Traités, est nécessaire pour permettre à la BEI de financer massivement des projets d’investissements en fonds propres, tout en étant indirectement refinancée par la BCE : Un nouveau pacte européen est plus que jamais nécessaire compte tenu des enjeux auxquels notre continent doit faire face. À cet égard, il apparaîtrait opportun de procéder à une refonte du Traité de l’Union Européenne et du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne mais aussi des statuts de la BCE et de la BEI afin de prévoir que soient : – élargie la mission confiée à la BCE pour qu’elle prenne aussi en considération un objectif de croissance économique et d’emploi mais aussi, le cas échéant, tout objectif de politique publique que l’Union Européenne pourrait considérer comme une « priorité politique » (comme la transition écologique) ; – autorisée la BEI à investir principalement en fonds propres dans des sociétés projets et à être associée à des investisseurs du secteur privé (petites, moyennes ou grandes entreprises – selon le type d’investissement) comme du secteur public si nécessaire, et – autorisée la BEI à négocier des accords de partenariat public-privé, en vertu desquels la BEI deviendra un actionnaire minoritaire dans le capital social de sociétés projets, en ayant vocation à sortir (par voie de cession de sa participation) au terme d’une durée déterminée. En outre, il convient de relever l’existence de certaines limitations juridiques résultant des Traités et Statuts actuellement en vigueur, qui devront être levées, en particulier, s’agissant des dispositions suivantes : – Conformément à l’article 308 du traité sur le fonctionnement de l’UE et à l’article 3 des statuts de la BEI, les seuls membres (ou actionnaires) autorisés de la BEI sont les États membres : la BCE n’est actuellement pas encore autorisée à devenir membre ou actionnaire de la BEI et ne peut donc pas souscrire à une augmentation du capital social de la BEI. Il conviendrait donc de modifier ces dispositions ;

– Conformément à l’article 16 (paragraphe 5) des statuts de la BEI, l’encours total des prêts et des garanties accordés par la BEI ne peut dépasser à tout moment 250 % du total de son capital souscrit, de ses réserves, de ses provisions non affectées ainsi que de l’excédent du compte de profits et pertes. Cela constitue une limite technique à la capacité financière de la BEI – pour le financement de projets par l’octroi de facilités supplémentaires – puisque le capital social de la BEI s’élève actuellement à environ 248 millions d’euros. Il conviendrait d’augmenter le montant du capital social de la BEI en autorisant la BCE à souscrire à une augmentation substantielle de son capital social ; et – Conformément à l’article 18 (paragraphe 2) de ses statuts, la BEI ne doit prendre aucune participation dans une entreprise, sauf si cela est nécessaire pour sauvegarder les droits de la Banque à assurer le recouvrement des fonds prêtés. Il conviendrait de lever cette interdiction et de prévoir cette faculté dans les Traités et les statuts de la BEI. Il convient de noter qu’un nouveau pacte à négocier entre les Etats membres de l’UE serait un préalable indispensable visant à la refonte des Traités et des statuts de la BCE et de la BEI. Cette refonte des textes applicables serait en tout état de cause une condition sine qua non préalable de la mise en œuvre d’un financement mixte monétaire/capitaux propres pour un nouveau Plan Marshall. 4. La mise en œuvre d’une nouveau Plan Marshall en vue de financer massivement des projets liés à la transition écologique et au développement de l’Afrique, serait-elle pertinente sur un plan économique ? 4.1 S’agissant de la transition écologique : Si l’on prend en considération la menace avérée relative à la dégradation de l’environnement, ce incluant le changement climatique et toutes les conséquences incontrôlées et indésirables en matière de destruction de ressources, de désertification et d’inondation que cette situation peut entraîner (cf. notamment, les analyses publiées par les économistes Bovari et al. 2018, Giraud 2017, Nordhaus 2016, Rezai et al. 2013, et Padilla 2002, 2004) ; il semble plus que jamais pertinent et urgent, comme le proposent le professeur De Grauwe (2019) et Madame Lagarde (2019, 2020), d’utiliser la capacité de création monétaire de la BCE pour soutenir la BEI dans le financement de projets liés à la transition écologique. La transition écologique ayant été définie par les Etats membres de l’UE comme une priorité politique (priorité politique qui résulte aussi des traités internationaux tels que le protocole de Kyoto et l’accord de Paris), la recherche d’un nouveau pacte européen autour de la redéfinition des missions de la BCE et de la BEI semble désormais inéluctable. Comme le souligne le rapport sur la nouvelle économie climatique (2018), le montant total des investissements annuels nécessaires à la bonne réalisation de la transition écologique en Europe est estimé à environ 300 milliards par an jusqu’en 2030. Or un tel effort d’investissement pourrait bien être (partiellement) financé par la BEI par voie d’apports en fonds propres à des sociétés projets (pour 30% à 50% du montant total des investissements), le reste des fonds propres pouvant être directement apporté par d’autres actionnaires investisseurs (publics ou privés) outre le soutien financier (dette sénior) des banques commerciales. Dans la mesure où la valeur nominale totale des titres précédemment acquis par la BCE (entre 2014 et 2019 – figurant à son bilan) est actuellement supérieure à 2 600 milliards d’euros, la BCE pourrait encore une fois facilement refinancer la BEI pour lui permettre d’abonder au capital des sociétés projets à financer. 4.2 S’agissant de la réalisation d’investissements additionnels nécessaires au développement de l’Afrique : Le continent africain est le plus pauvre de la planète. La croissance économique en Afrique s’est maintenue à 3,4 % en 2019 (3,5% en 2018). Elle devait s’accélérer à 3,9 % en 2020 et à 4,1 % en 2021 mais cette perspective demeure très incertaine compte tenu de la crise économique induite par la COVID 19. Or l’investissement a contribué pour plus de la moitié à la croissance du continent, contre moins d’un tiers pour la consommation privée. Selon le cabinet McKinsey (2020) et le McKinsey Global Institute (2016), l’Afrique souffre, cependant, structurellement d’un déficit substantiel en matière d’infrastructures. À titre d’illustration, on peut relever qu’environ 600 millions de personnes en Afrique subsaharienne notamment, n’ont pas accès à l’électricité du réseau (elles représentent en fait plus des deux tiers de la population mondiale sans électricité). titre de comparaison, il peut être aussi rappelé (source McKinsey – 2020) que l’Inde a connecté au réseau électrique 100 millions de personnes supplémentaires en 2018, alors que le continent africain n’a pu connecter que 20 millions de personnes de plus au cours de la même année. Pour autant, et cela doit aussi nous interpeller, la demande africaine d’électricité devrait quadrupler entre 2010 et 2040. Selon l’Infrastructure Consortium for Africa, le financement annuel moyen pour le développement des infrastructures en Afrique a été de 77 milliards USD entre 2013 et 2017 (soit le double de la moyenne annuelle en 2000/2005). Cependant, le montant total moyen des investissements d’infrastructures réalisés en Afrique n’a été que de 3,5% du PIB par an depuis 2000, ce qui demeure insuffisant si l’on souhaite combler le déficit structurel dont souffre l’Afrique. Il a été estimé que le niveau nécessaire d’investissements dans les infrastructures en Afrique serait d’au moins 4,5% du PIB africain, si l’on veut permettre au continent de combler progressivement son déficit en matière d’infrastructures. Selon deux rapports de la Banque Africaine de Développement, l’insuffisance d’infrastructures productives dans les services d’électricité, d’eau et de transport ne permet pas aux entreprises africaines de se développer et de bénéficier d’avantages comparatifs dans le cadre d’une concurrence internationale toujours plus aigüe. Or le continent africain a besoin de plus de croissance économique et de créations d’emplois, pour faire face notamment à une urbanisation rapide mais aussi pour absorber une main-d’œuvre qui augmente d’ores et déjà de 12 millions par an. Un chiffre qui devrait augmenter de manière exponentielle. Divers travaux économiques à caractère scientifique ont permis de démontrer qu’une augmentation d’un point en matière d’investissements d’infrastructures conduirait à une augmentation du taux de croissance du PIB par habitant d’environ 0,06 point en Afrique. Dans la même veine, les estimations de la Banque Africaine de Développement (Rapport économique africain – 2018) suggèrent que les besoins en infrastructures du continent africain s’élèvent à 130-170 milliards USD par an, avec un déficit de financement de l’ordre de 68-108 milliards USD par an. C’est donc cette insuffisance ou ce besoin d’investissements d’environ 70 à 110 milliards d’USD par an qu’il faudrait pouvoir financer si l’on souhaite que l’Afrique puisse faire face, au moins économiquement, aux enjeux que l’on vient d’évoquer. Si la BEI devait y procéder, il est à noter que l’orientation donnée à ces investissements additionnels pourrait être aussi prioritairement celle du développement durable ainsi que de la transition écologique et énergétique. En tout état de cause, la BEI (refinancée par la BCE) serait en capacité, le cas échéant, de financer la réalisation de ces investissements additionnels nécessaires au développement de l’Afrique, en y procédant aussi par voie d’apport de capitaux propres à des sociétés projets dans le cadre de partenariats public-privé internationaux. Conclusion : Il apparaît à la fois techniquement possible et pertinent, sous réserve de pouvoir rénover le pacte européen en révisant les Traités applicables, que la Banque centrale européenne (BCE) redirige la quantité substantielle de monnaie qu’elle a émise (2.600 milliards d’euros – entre 2014 et 2019) vers l’économie réelle par l’intermédiaire de la Banque européenne d’investissement (BEI), en vue de financer un plan massif d’investissements. La solution proposée, dite de financement mixte monétaire/fonds propres, permettrait – sans augmenter le volume de la masse monétaire additionnelle déjà créée, de remplacer progressivement les titres déjà acquis par la BCE (entre 2014 et 2019) par des obligations vertes » ou « développement » à faire émettre par la BEI au cours des dix prochaines années. À un moment où nous devons faire face à de nouvelles crises et à des difficultés économiques majeures (notamment du fait de la Covid-19), la mise en œuvre d’un nouveau plan Marshall, permettant de réaliser des investissements massifs liés à la transition écologique et au développement de l’Afrique, serait à la fois une réponse politique opportune et une solution économique adaptée. Un nouveau Plan Marshall serait en effet un instrument idoine pour stimuler substantiellement les économies des Etats de l’Union Européenne mais aussi, le cas échéant, celles du continent africain. Nous le savons, l’Europe et l’Afrique sont historiquement liées. Et ce lien demeure aussi une évidence sur les plans géopolitique et économique. En outre, la croissance et l’emploi que pourrait générer en Afrique le bénéfice d’un Plan Marshall, devraient, au demeurant, également largement profiter aux entreprises (et donc aux économies) de l’Union Européenne. Alors pourquoi ne pas ouvrir aujourd’hui le champ des possibles et procéder enfin à l’indispensable rénovation préalable du pacte européen, dont nous avons tant besoin pour pouvoir faire face aux grands défis du XXIème siècle ? Références :

– African Development Bank. (2011). Private Sector Development as an Engine of Africa’s Economic Development. Abidjan, Cote d’Ivoire. Available at: https://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Publications/African%20Dev elopment%20Report%202011.pdf – African Development Bank (2013). “The Africa Infrastructure Development Index (AIDI).” AfDB Chief Economist Complex. Abidjan, Cote d’Ivoire. Available at: https://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Publications/Economic_Brief _-_The_Africa_Infrastructure_Development_Index.pdf – 20Development%20Report%202011.pdf – African Development Bank (2018) – African Economic Report 2018 : “Infrastructure and its financing». – Aschauer D. A. (1989). Is Public Expenditure Productive? Journal of Monetary Economics, 23(2), 177–200. doi:10.1016/0304-3932(89)90047-0. – Auerbach, A.J. , Obstfeld, M. (2005). The case for open-market purchases in a liquidity trap. Am. Econ. Rev. 95 (1), 110–137 – Emmanuel Bovari, Gaël Giraud Florent Mc Isaac (2018), Coping with Collapse: A Stock-Flow Consistent Monetary Macrodynamics of Global Warming Ecological Economics. – Bernanke, B. (2003), Some thoughts on monetary policy in Japan. Speech Before the Japan Society of Monetary Economics, Tokyo. – Buiter, W.H. (2014). The simple analytic of helicopter money: why it works –always. Econ. E J. 8, 1–51. – Claeys G., A. Leandro and A. Mandra (2015) ‘European Central Bank Quantitative Easing: the Detailed Manual’, Policy Contribution 2015/02, Bruegel – Cœuré B. , (2019), answers to the questions raised by the French members of the Parliament (May 15, 2019). – Christiano, L. , Eichenbaum, M. , Rebelo, S. (2011). When is the government spending multiplier large? J. Polit. Econ. 119 (1), 78–121. – Davig, T. , Leeper, E.M. (2011). Monetary-fiscal policy interactions and fiscal stimulus. Eur. Econ. Rev. 55, 211–227 . – Eggertsson, G. (2011). What fiscal policy is effective at zero interest rates? Macroeconomics Annual 2010. University of Chicago Press, pp. 59–112.

– Darvas Z. and P. Hüttl (2016) ‘Has ECB QE lifted inflation?’ Bruegel Blog, 12 January

De Grauwe P. (2019): Funding an ecological transition in Europe via ‘green money’ bonds would be economically justifiable – March 19 2019.

– Diamond D. and P. Dybvig (1983) ‘Bank runs, deposit insurance, and liquidity’, The Journal of Political Economy, 91(3)

– Draghi, M. (2015a) ‘Introductory statement to the press conference (with Q&A) Frankfurt am Main, 22 January’, available at http://www.ecb.europa.eu/press/pressconf/2015/html/is150122.en.html

– Draghi, M. (2015b) ‘Introductory statement to the press conference (with Q&A) Frankfurt am Main, 3 September’, available at http://www.ecb.europa.eu/press/pressconf/2015/html/is150903.en.html

– Draghi, M. (2015c) ‘Introductory statement to the press conference (with Q&A) Frankfurt am Main, 3 December’, available at http://www.ecb.europa.eu/press/pressconf/ 2015/html/is151203.en.html

– Draghi, M. (2016) ‘Introductory statement to the press conference (with Q&A) Frankfurt am Main, 21 January’, available at http://www.ecb.europa.eu/press/pressconf/2016/html/is160121.en.html

– Friedman, M. (1969). The Optimum Quantity of Money. In: The Optimum Quantity of Money and Other Essays. Aldine Press, (Chicago, IL).

– EIB – Statute as of March 2020 – EIB source.

– Galí J. (2019), “The effects of a money-financed fiscal stimulus” – Journal of Monetary Economics, August 2019.

– Galí, J. (2015). Monetary policy, inflation and the business cycle. An Introduction to the New Keynesian Framework, 2nd ed. Princeton University Press, Princeton, NJ.

– Galí, J., López-Salido, J.D., Vallés, J. (2007). Understanding the effects of government spending on consumption. J. Eur. Econ. Assoc. 5 (1), 227–270 .

– Giraud, G. (2017). The trouble with climate economics. Comments on “climate change, development, poverty and economics”. In: Fankhauser, S., Stern, N., Basu, K.

– Infrastructure Consortium for Africa (ICA) Report (2018).

– Keynes, J.M., (1930), ‘General theory of employment, interest and money’.

– Lagarde C. (2019) : Hearing and answers before the European Parliament – September 2019.

– Lagarde C. (2020) : communication on the purchase of green bonds as an objective – January 2020.

– McKinsey (2020), ‘Solving Africa’s infrastructure paradox” by Kannan Lakmeeharan, Qaizer Manji, Ronald Nyairo, and Harald Poeltner.

– MGI – McKinsey Global Institute (2016). “Bridging Global Infrastructure Gaps.” McKinsey & Company, [online] Available.

– New Climate Economy Report (2018) – Executive summary.

– Nordhaus, W. (2016). Projections and uncertainties about climate change in an era of minimal climate policies. Natl. Bur. Econ. Res. Bull. Aging Health(w21637).

– Padilla, E. (2002) “Intergenerational equity and sustainability”, Ecological Economics, Vol. 41 (1), pp. 69–83.

– Padilla, E. (2004) “Climate change, economic analysis and sustainable development”, Environmental Values, Vol. 13 (4), pp. 523–544.

– Rezai, A., Taylor, L., Mechler, R. (2013). Ecological macroeconomics: an application to climate change. Ecol. Econ. 85, 69–76.

– Roller, L. H., & Waverman, L. (2001). Telecommunications Infrastructure and Economic Development: A Simultaneous Approach. The American Economic Review, 91(4), 909–923. doi:10.1257/aer.91.4.909

– Stern (2006): Stern Review – Report on the Economics of Climate Change.

– Stiglitz J. (2015) : « La BCE devrait acheter des obligations de la BEI pour multiplier les investissements » – Interview by LES ECHOS – 15/04/2015.

– Treaty on the Functioning of the EU – EU Commission source.

– Woodford M., (2011): Simple analytics of the government spending multiplier. Am. Econ. J. Macroecon. 3, 1–35 .

– Yılmaz D., Cetin I. (2018): The Impact of Infrastructure on Growth in Developing

– Countries: Dynamic Panel Data Analysis.