Quand on prend rendez-vous avec Myriam Maestroni pour l’interroger sur sa vision de l’entreprise contributive, on s’attend évidemment à avoir un aperçu de l’évolution de son propre parcours en parallèle de la mutation de tous les secteurs économiques et en particulier du secteur de l’énergie.
On s’attend à l’entendre parler de sa conception de l’entreprise sous le prisme des grands bouleversements des modèles d’affaire, du leadership et du management. Mais on est encore loin de la prendre la mesure de l’approche holistique de Myriam sur le sujet du changement… Car Myriam, le changement, elle connaît. Et si elle entre dans le sujet en douceur avec la médecine chinoise et la naturopathie, c’est pour mieux vous embarquer dans l’histoire d’un changement de vie radical au cœur même d’un changement de paradigme économique global radical. Voilà pour l’approche : on va aborder les sujets technique, économiques et philosophiques en même temps, parce que pour Myriam, tout va ensemble. Et elle a évidemment raison.
Myriam, c’est quand même un sacré personnage. Je savais qu’elle était sensible au sujet des femmes entrepreneures, et aussi actrice très engagée de la cause. De nombreuses personnes m’en avaient parlé avec admiration et respect pour ses convictions, ses engagements et son expertise – sur les sujets environnementaux en général et énergétiques en particulier, bien sûr. La lecture de sa bio déjà est impressionnante (se référer à sa fiche Linkedin ou aux nombreux articles qui font état de ses faits d’armes). Alors pour faire simple : pour commencer, il faut savoir qu’elle est entrée dans la cour des grands à 24 ans. Et vous, que faisiez-vous à 24 ans ? Hum. Par exemple, pendant que moi j’apprenais les rudiments des RP à Londres, Myriam, elle, était déjà CEO (et après on arrête de comparer). Oui, Myriam, à 24 ans, était CEO d’une entreprise française, spécialisée dans la distribution et la vente de produits pétroliers en France et en Espagne. Et puis ensuite à 28 ans, CEO de Primagaz, en Espagne. Oui parce que Myriam est multiculturelle aussi : son terrain de jeu est Européen et beaucoup plus vaste encore. Et puis en 2005, à 38 ans, elle devient (logiquement ?) CEO de Primagaz. Elle a donc baigné toute dans l’univers de l’énergie, du côté des produits pétroliers et parapétroliers. Et elle a, à la tête d’une entreprise énergétique, dirigé des centaines de personnes, dans un univers plutôt masculin. Mais après 20 ans aux commandes de grands producteurs et fournisseurs d’énergies fossiles, elle est définitivement passée de l’autre côté du miroir.
Avec Myriam, le concept de transformation du monde économique et de transformation prend corps, littéralement.
Et c’est exactement ce qui se passe dans toute entreprise qui devient contributive : on commence par un réveil, puis une évidence : on ne peut plus faire « comme avant ». Et comme dans d’autres entreprises qui deviennent contributive : la mutation intérieure de la personne est centrale, et le leadership déterminant.
A quel moment Myriam a-t-elle décidé de changer de cap ? Les années allant de 2000 à 2010, déterminantes dans l’histoire du changement climatique, l’ont été pour elle aussi. D’abord, avec une prise de conscience mondiale, post Al Gore et son fameux film « une vérité qui dérange » : soudain, comme le nez au milieu de la figure de l’humanité, les effets du changement climatique étaient devenus bien visibles et ses causes bien connues. Ont suivi les premières règlementations contraignantes. Et immédiatement, des entreprises internationales ont dû prendre en compte ces règlementations et intégrer la prise en compte des ODD – les 17 objectifs développement durable de l’ONU à atteindre pour sauver le monde. Vers 2008, la division du monde en deux parties était actée : d’un côté les pays dits « en développement » et de l’autre « nous », les pays qui allions devoir inventer une autre croissance, une autre forme d’économie, et pas seulement en étant « un peu plus économe » et « un peu plus solidaire ». Non, nous allions vraiment devoir inventer une nouvelle économie basée sur un nouveau paradigme économico-énergétique – ou plutôt énergético-économique, l’énergie précédant la création de richesse telle que nous la connaissons encore. Nous allions devoir apprendre à créer de la croissance en tenant compte de la capacité de la terre à se régénérer. Du jamais fait, du jamais vu, de mémoire de civilisation industrielle. Ce n’est pas gagné, et pourtant il va falloir s’y mettre.
Myriam, elle, s’y est mise. Le « switch » opéré a été total. Une révolution « copernicienne », comme Myriam le dit elle-même.
Elle a non seulement profité de son expérience dans le secteur de l’énergie pour co-créer sa structure, mais surtout elle est passée de ceux qui vendent de l’énergie au club très fermé de ceux qui proposent de l’économiser. Et après ses années dans de grands groupes au fonctionnement hiérarchique pyramidal, à la logique de prédation – je ponctionne dans la nature, je vends -, et à la politique commerciale et donc économique du « toujours plus », Myriam a compris qu’il fallait « faire du business autrement ».
Myriam a voulu faire partie de ceux qui participeraient à cette nouvelle forme d’économie. Ainsi est née, en 2011,Economies d’Energie (qui ne peut pas mieux porter son nom). La société, co-créée par Myriam actionne 3 leviers : celui des comportements, les travaux de rénovation énergétique et les technologies de gestion de l’énergie. L’objet de l’entreprise venait servir une réflexion plus large : l’économie de l’énergie pour le climat, bien sûr, mais aussi répondre à l’attente de la jeune génération, avoir du sens, faire sens. Avec à la fois une vue macro – avec la prise en compte des ODD, notamment – et une vue très pragmatique et immédiate – comme les sujets de parité, de mixité, de diversité, qui sont chers à Myriam. Et en 2014, elle crée The Blu Effect, pour amener les sujets de gestion de l’énergie, de l’eau et des déchets au cœur des institutions – entreprises, collectivités, associations – mais aussi au cœur de la vie des gens – à la maison, à l’école, partout.
Au-delà de l’objet de l’entreprise Economie d’Energie, c’est son fonctionnement même qui est différent. Et là, le bouton « reset » n’est pas pressé à moitié, mais totalement. Elle conçoit sa société également un outil « d’empowerment » pour à la fois ses collaborateurs et ses clients. Il s’agit de remettre à sa juste place l’humain : devant. Ayant bien côtoyé les modèles « top down », Myriam instaure le « bottom-up » et le « transverse », y compris avec ses fournisseurs partenaires. Grâce au digital, elle enterre un management qui consistait à planifier, organiser, contrôler, au profit d’un management de la libération. En discutant, on sent que le digital n’a pas été qu’un outil pour Myriam. Le digital a amené le « en même temps » – la pluralité inspirant une pensée et une action holistique. Elle cite les 5 niveaux de leadership de Jim Collins(consultant et auteur ou co-auteur de six livres de management), et ses notions phares : le rapport positif aux autres ; la notion de prévalence de la légitimité sur le pouvoir ; l’importance de pouvoir aider les gens à résoudre leurs problèmes dans un cadre de confiance ; la capacité à développer et partager une vision, et l’humilité (là on se dit que l’humilité, ce n’est pas de Jim, c’est la touche de Myriam).
Dans le rapport au management et au leadership, pour Myriam, il y a cette idée de replacer dans un contexte la question du sens du business.
Pour que le business continue, pour que l’entreprise puisse encore fonctionner, il faut littéralement régénérer les ressources. Humaines et physiques. Pour régénérer ce type de ressources, il ne s’agit pas juste de faire « moins mal » – il s’agissait de faire mieux en faisant radicalement différent. D’où le double prisme des actions, sur le front de l’économie d’énergie, et sur le front du management.
Faisant le constat que, à cause d’un prix du carbone trop bas, il est toujours plus pénalisant pour une entrepreneure de la nouvelle économie de produire des externalités positives que de polluer, Myriam a bien conscience que le chemin n’est pas tout tracé, ni pour sa propre activité ni pour celle des autres entrepreneurs du changement. L’ancienne économie et tous ses
verrous socio-techno-économiques freinent des quatre fers. Même si elle souligne que l’on « cumule en ce moment les emmerdes de l’ancienne économie et de la nouvelle », Myriam se veut positive : on peut changer, individuellement et en tant que société, on peut restaurer notre environnement. Et la protection de l’environnement peut nourrir une logique de développement personnel et interpersonnel. L’homme reprendrait sa place au sein de son élément, et non au-dessus, dans un (pas si) éternel combat « contre » la nature. Il faut encore « faire avec » l’ancien monde, c’est à dire avec ce qui fait tourner l’économie de l’ancien monde, tout en préparant le prochain. Myriam, sans détour, explique que pour elle, les modèles énergétiques actuels, en engloutissant les moyens et l’intelligence, empêchent les alternatives de se développer, de même que les phytosanitaires, soutenus par de grands groupes, tiennent le modèle agricole et empêchent les agriculteurs d’en expérimenter un autre. L’ancien monde craque de partout. Il faut donc abandonner les technologies et paradigmes de l’ancien monde tout en construisant le nouveau. Avant que l’ancien monde ne lâche tout à fait. Myriam souligne que l’on est loin de mesurer combien la vie sur la terre est vulnérable, combien la vie humaine est un miracle. Conserver, préserver, restaurer les écosystèmes et les conditions qui ont permis à la vie de germer et à la vie humaine de s’épanouir devrait être la priorité absolue.
Myriam confie qu’elle ne considère pas le développement durable comme étant un métier mais comme un éclairage qui vient redéfinir l’ensemble des leviers qui fabriquent et font fonctionner l’entreprise, dont le management, le leadership, la collaboration, la communication – tout le volet « humain » de l’entreprise.
Il s’agit de redéfinir un alignement global entre « le monde » et « soi-même ». Entre ce que la terre peut « offrir » comme ressources et la place que l’on occupe dans la société, dans la Société et plus généralement sur la terre. Car cet alignement ne peut qu’être holistique. En tant qu’individu, pour être bien avec soi-même et avec les autres, on ne peut pas être différent en entreprise et dans la vie. Car l’entreprise n’est pas hors sol. Elle est sur la terre et elle fait partie de la vie de ses parties prenantes. On ne la voit trop que lorsque tout va mal avec ses externalités négatives – burn out ou écocides. On peut aussi voir tout ce qui va bien ! Ecosystèmes régénérés et bien-être au travail ! Cela peut sembler simpliste aux cyniques. Mais devant l’énergie de Myriam et les résultats obtenus , on ne peut que constater que « ça marche ».
Si elle applique ses principes dans sa propre structure professionnelle, elle les partage aussi à travers ses engagements associatifs – qui permettent d’étendre l’action plus largement. Comme au sein de l’association Anviepar exemple : il s’agit d’une association sous forme de réseau qui s’appuie sur les enseignements de la recherche en sciences humaines et le partage d’expériences d’entreprises pour aider les entreprises à opérer leur propre mutation. En y partageant ses convictions et surtout ses réalisations, avec d’autres, elle infuse la possibilité d’une nouvelle économie. Pour partager sur le front des économies d’énergie, Myriam a créé la Fondation E5t. E5t pour « Energie, Efficacité Energétique, Economie, Environnement et Territoires » : il s’agit d’un think&do thank dans lequel interagissent l’ensemble des acteurs et des utilisateurs concernés par les problématiques inhérentes à la transition énergétique aux 4 coins de la planète, dont la Chine, où tout se passe, et l’Espagne, sa seconde patrie. Et parce qu’elle veut participer à l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs, animés, comme elle, par la conviction qu’il est désormais impossible de ne pas « faire autrement », Myriam a aussi co-créé, avec Corinne Lepage, le MENE, le Mouvement des Entrepreneurs de la Nouvelle Economie.
On sent Myriam prête à en découdre, avec une détermination intacte. Elle rappelle volontiers qu’elle a été GenY avant l’heure, envoyant balader une carrière qui lui pesait et inventant un nouveau mode d’entreprise.
Elle a vécu le « changement de paradigme » de l’intérieur avant de le conduire à travers sa carrière et ses engagements. Oui, créer une startup est un risque. Mais il y a un sens personnel et universel à cette prise de risque. Et sa fine connaissance des enjeux énergétiques ainsi que son expérience du management ont fait que ce risque, finalement, était mesuré, et le succès au rendez-vous. La preuve ? Elle a su convaincre ses clients, et est aujourd’hui à la tête d’une belle équipe, jeune, compétente, engagée et enthousiaste. Exactement les qualités de ceux qui vont changer le monde.
Myriam Maestroni est Fondatrice et CEO de Economie d’Energie et sa filiale ON5Company, fondatrice de la fondation E5T, cofondatrice avec Corinne Lepage du MENE et Femme en Or de l’Environnement 2014.
@MyMaestroni